Jean-Max Colard : D’où vient cette idée
d’inviter le Frac Ile-de-France au mac/val ?
Frank Lamy : Il y avait l’idée d’explorer les liens naturels qui existent entre le mac/val et le Frac Ile-de-France : d’abord les deux structures partagent le même territoire. Le mac/val est à l’origine un fonds départemental d’art contemporain, créé au même moment que les Fracs, d’où le désir de mettre en regard deux types de collections très différentes mais qui se sont construites sur le même territoire et dans le
même temps. Nous avons donc lancé cette invitation à Xavier Franceschi.
Par ailleurs, les espaces de notre collection étant fermés pour organiser un réaccrochage, cela a orienté le projet dans sa démesure, ou son
exhaustivité.
Jean-Max Colard : Il y avait en somme un double trou dans la programmation. Ce n’est peut-être pas un hasard si ce vide est
devenu un plein…
FL : L’exposition rétrospective de Claude Closky propose aux visiteurs un parcours dématérialisé où chacun est placé au cœur des dispositifs sonores. L’exposition de la collection du Frac Île-de-France interroge la
notion même de la constitution d’une collection publique, de son éclectisme et de ses partis pris.
Xavier Franceschi : On n’a jamais travaillé pour autant avec le sentiment d’avoir à combler quelque chose. On a d’abord réfléchi par rapport aux espaces donnés. D’une part, les collections permanentes
fermées, et d’autre part cet espace de 1400m² dévolu aux expos temporaires, avec des contraintes fortes : pas de cimaises et un
temps d’accrochage très serré. On a d’abord songé à une sélection commune,
mais, surtout, très vite, il fallait trouver un principe susceptible de structurer
l’ensemble. Et j’ai pensé à cette idée de présenter la collection du Frac Ile-de-France dans son intégralité. L’espace nous y autorise : notre collection n’occupe que 200m² de réserves, et il est donc possible de
la déplacer entièrement.
— D’où l’idée de la rendre entièrement présente, pas
intégralement visible, mais présente dans sa totalité, d’une manière très concrète, et organiser à partir de là une présentation d’œuvres issues des réserves ainsi transposées.
FL : Le fait d’accueillir cette collection
répond aussi à d’autres significations : les 25
ans du Frac Ile-de-France, ou la question très
actuelle de l’inaliénabilité des collections
publiques. Et le fait que cette collection
circule beaucoup, mais généralement pas
dans des espaces muséaux.
XF : Oui, c’est la première fois qu’elle est
montrée à cette échelle dans un musée. Et
puis, du fait de leur politique de diffusion,
sans lieu fixe comme dans le cas d’un
musée, les Fracs sont souvent confrontés à
certaines questions de la part du public.
Qu’est-ce que la collection, où est-elle, que
contient-elle ? Là, on va voir ce que c’est,
très concrètement, on va pouvoir la
désigner, la pointer du doigt.
Jean-Max Colard : Pensez-vous vraiment que la problématique de la gestion d’une collection, ça intéresse le public ?
Je comprends que ces problématiques internes à l’institution vous concernent, mais cela mérite-t-il qu’on en fasse une exposition publique ?
XF : Bonne question. C’est vrai, par exemple,
que lorsqu’on organise chaque année au
Plateau une exposition à partir de la
collection du Frac Ile-de-France, on peut se
demander si ce principe, en soi, intéresse le
public qui a priori vient avant tout pour voir
des œuvres… En même temps, c’est toujours
intéressant de connaître la réalité des
choses. Leur raison d’être présentes à un
moment donné. Ce qui a prévalu à leur
apparition. La réalité d’institutions comme
les nôtres, le fait précisément de constituer
une collection, de voir comment évolue ce
patrimoine en cours de constitution est certainement quelque chose qu’il est
intéressant de connaître au regard des
propositions que l’on fait. C’est une clef de
lecture primordiale.
FL : J’espère, et je pense qu’il n’y a pas de
question qui ne puisse arriver devant le
public. Comment on choisit, qu’est-ce
qu’on décide de sortir des réserves et
d’emmener dans la salle d’exposition, c’est
aussi le travail des commissaires, des
critiques, et de ce point de vue c’est
intéressant.
XF : Il y a aussi le fait de faire vivre la
collection, de la considérer comme ce
qu’elle est : un objet qui autorise une
multitude de possibles. Il y a une dimension
de jeu – en tout respect des œuvres - et je
crois que c’est important que cette
dimension puisse ressortir, que ça se
perçoive.
Jmx : Personnellement, cette problématique très interne m’intéresse dans la mesure où elle croise la question de l’exposition, si importante aujourd’hui. Il s’avère que le stockage, la réserve, l’entassement, la
collection sont aussi des formes d’exposition. Quelle forme allez-vous donner
à cette expérience ?
XF : L’idée est que la réserve du Frac soit
présente, physiquement présente, sur la
même surface et avec quasiment la même
configuration. A partir de là, sur les trois
quarts restant d’espace, des pièces sont
sorties, des rotations sont envisagées tous les
quinze jours, des pièces sont déballées,
d’autres remballées, le tout en présence du
public. C’est justement une manière de
montrer au public la réalité et même la vie
d’une collection. Elles vivent là leurs vies
d’œuvres, il y a du mouvement, des entrées,
des sorties, il y a tout un travail effectué, de
la réserve à la monstration, et c’est tout cela
qu’on voudrait rendre visible.
Jmx : Le spectacle de la collection.
FL : Oui, c’est exactement ça.
XF : La première fois que je suis allé au
Schaulager à Bâle, cette institution privée
qui a développé une conception novatrice
de la gestion d’une collection, j’ai assisté,
depuis la cafétéria et à travers sa large baie
vitrée latérale, à l’arrivée d’un camion
pénétrant à l’intérieur du bâtiment pour une
livraison d’œuvres. Et à l’intervention d’une
équipe d’hommes - tous de rouge vêtus -
pour le déchargement des pièces. C’était
une véritable performance. Et je suis sûr que
tout avait été conçu, notamment par les
architectes Herzog & De Meuron, pour que
ce soit perçu comme ça. Comme un
panorama sur la vie ordinaire et le
spectacle de la collection. C’est aussi ça,
ici, peut être plus modestement bien sûr, qui
est en jeu.
FL : Evidemment ce sont des gestes qu’on
fait en permanence, et là ce travail continu
sera accompli en présence du public.
L’important, c’est de montrer le dynamisme
de toute collection, que le paysage ne soit
pas figé.
Jmx : De nombreux artistes comme
Jonathan Monk par exemple à l’ICA de
Londres dont une partie de l’expo était en
réserve, mais aussi des curateurs comme
François Piron aux Laboratoires
d’Aubervilliers et son exposition en 35
heures, ont déjà exploré ces formes
d’accrochage et d’exposition qui mettent en
spectacle le travail invisible de la
collection…
XF : Oui, il y a une pleine dimension
spectaculaire dans ce qu’on va proposer au
mac/val. Qui tient donc à ce principe de
rendre toute une collection présente. Il y a
un exemple, près de nous, qui jouait sur
cette même idée, l’exposition de toute la
collection photographique de la Caisse des
Dépôts et Consignations au Centre
Pompidou. Mais là, le choix avait été de tout
montrer, pour donner lieu à un accrochage
type dix-neuvièmiste où les murs étaient
entièrement recouverts d’œuvres du sol au
plafond. Ça ne sera pas le cas ici. Il s’agira,
grâce à ce principe adopté de réserves
présentes, de montrer les œuvres dans les
meilleures conditions.
Jmx : Comment allez-vous proposer un
choix au milieu de tout ça ?
FL : On va écrire une partition.
XF : Oui, c’est ça. Dans un premier temps,
chacun de nous deux fait une pré-sélection
et ensuite on croise les choses, on établira
l’exposition, les rotations.
FL : Il y aura en tout quatre moments
d’accrochage, et donc on va pouvoir moduler, former des paysages et des
scénarios très différents à partir du stock
déjà formé de la collection.
Jmx : Le fait de faire les choix à deux
change-t-il les choses ?
XF : Forcément. On part sur cette idée de
faire chacun une sélection assez large
d’œuvres, de les confronter, de faire
émerger des liens formels ou autres. Les 900
pièces qui constituent la collection, l’idée ce
n’est pas de toutes les montrer.
Naturellement, on aura tendance à montrer
les pièces qui nous semblent importantes, les
« incontournables » de la collection. Les
Bertrand Lavier, le Tobias Rehberger, etc.
Mais tout en ayant la possibilité de montrer
d’autres choses. Par exemple des petites
sculptures de Jules Chassepot qui nous
laissent perplexes, mais que l’on peut tout à
fait s’autoriser à montrer dans ce contexte.
FL : Oui, car c’est ça aussi une collection
publique, pas seulement des chefs-d’œuvre,
mais aussi toutes ces pièces méconnues qui font l’esprit d’une collection.
XF : Sachant qu’on a établi ce principe
d’une base présente visible à partir de
laquelle des œuvres sont régulièrement
extraites, ça nous laisse maintenant une
latitude complète. Les choses sont très
ouvertes. On n’a pas besoin par exemple de
se donner des thématiques, et on peut
organiser surtout des confrontations
inattendues entre les œuvres de la
collection, faire des jeux formels, ou autres.
Depuis les premières acquisitions de 1983-84
jusqu’aux plus récentes.
FL : Si on a mis en place ce principe, c’était
qu’il y avait justement une grande difficulté
à trouver une thématique commune ou
large pour montrer cette collection très
diverse. Pourquoi choisir ceci ou cela,
pourquoi privilégier tel artiste et pas tel
autre, et que ça fasse sens ? Avec ce
principe qui consiste à faire venir toute la
réserve du Frac, on se trouve dédouané de
tout parti-pris, et de l’arbitraire du choix.
Maintenant, le jeu peut commencer.