Ange Leccia est un artiste majeur, l’un des pionniers français de l’art vidéo. Depuis le début des années 1980, la lumière et l’image, combinées à l’humain, sont la matière première de son œuvre.
Pour le MAC VAL, il a imaginé une œuvre nouvelle, une création qui est un dispositif où s’envisagent les films de sa vie. Un « cœur » de quatre images bat au centre de l’espace, l’irriguant de couleur et de lumière, auquel deux autres images répondent. Cet environnement vidéo, cet « arrangement » qui est depuis l’origine sa pratique, met en dialogue les œuvres d’hier et celles d’aujourd’hui. Le dispositif crée des séquences, basées sur des rythmes différents dont la dynamique fait sens. Ainsi se répondent des visages et des paysages retenus par la caméra, des moments fabriqués, des instants saisis. Pour cette invitation du musée, Ange Leccia est revenu à l’essence de son œuvre : les portraits, les instants, l’adolescence, cet âge fondateur.
L’artiste en effet fait advenir les sujets : il filme des visages qui, pour devenir sujets, doivent être regardés, visités, interrogés. Il instaure un face-à-face singulier entre celui qui filme et le sujet filmé pour traquer ce qu’un visage laisse transparaître, au-delà de la surface, au-delà de l’être. Dans des dispositifs la plupart du temps d’une grande simplicité, loin de la superproduction afin d’être au plus proche du sujet, il enregistre la respiration, le battement des cils, une veine qui bat, des événements qui font l’être : des portraits justes, saisis, parfois volés en ce qu’ils saisissent l’être au-delà de sa conscience. Si la façon de filmer est toujours dans la simplicité, l’image devient ensuite une matière première que l’artiste manipule, interprète comme un musicien le fait d’une partition : il fabrique des effets en utilisant le ralenti, le sample, la répétition, la colorisation et la solarisation.
La musique est un autre composant des œuvres d’Ange Leccia : plus qu’un ressort, elle induit un état, une relation particulière entre l’image et son regardeur. Il n’est jamais question de discours ni de mots chez lui, c’est un art sinon silencieux, du moins fait d’une langue d’autant plus universelle qu’elle combine image et musique. Le « film-exposition » créé pour le musée commence en 1981. Ange Leccia apparaît à l’image pour l’unique fois : il est à la Villa Médicis, à Rome, et ouvre la fenêtre. Il devient celui qu’il est depuis, l’artiste qui regarde et retient les instants fugitifs dans une œuvre hypnotique souvent jusqu’au vertige, le vertige de la conscience du temps, de l’état instable et éphémère du monde et des êtres. Le souffle de la vie qui irrigue cette installation se lit et se ressent comme dans un carnet intime. Revenant à l’essence de son œuvre, à son caractère profondément intime, Ange Leccia trace ici des voies inédites entre réel et fiction.
Alexia Fabre