Laurent Tixador et Abraham Poincheval

Installation
Toile avec feutre noir,
114 × 195 cm, 1/1 ;
vidéo, couleur, son, mini DV, 12’30, 1/5 ;
bouteille de verre (terre, ficelle, plastique),
14 × 50 cm, 1/1

Notice

Entre voyages improbables et isolements volontaires, le travail de Laurent Tixador et Abraham Poincheval fait usage de situations inhabituelles. Imaginant des aventures à fortes contraintes, ils mettent en jeu leur corps mais aussi leur psyché sous forme d’explorations et d’expériences : rester enfermés une nuit en compagnie de centaines de moustiques (Arène, 2008), relier Saint-Nazaire à Fiac – un village du Tarn, homonyme de la Foire internationale d’art contemporain de Paris – à la rame contre vents, marées et courants contraires (Plus loin derrière l’horizon, 2004) ou encore vivre une semaine sans provisions, à la manière d’hommes préhistoriques, sur l’île du Frioul (Total Symbiose, 2001). Chaque aventure est l’occasion d’une production, la source d’œuvres protéiformes déclinées en installations, maquettes, tableaux, films, objets et autres trophées.

Journal d’une défaite résulte d’un projet de tour de France en vélo selon un parcours en cercle géométriquement parfait, partant d’une résidence au Fonds régional d’art contemporain des Pays de la Loire, à Carquefou. L’installation restituant cette expérience se compose de trois éléments distincts et complémentaires.
Une vidéo en mode subjectif constitue un véritable journal de bord de l’aventure.
Une bouteille, rappelant les objets souvenirs fabriqués par les marins lors de voyages au long cours, contient une représentation en miniature du terme de l’aventure.
Une toile blanche, enfin, porte le tracé étape par étape du périple qui reste et restera inachevé. En effet, comme son titre l’indique, les artistes n’ont pas été au bout de leur projet initial, ne traçant sur la toile qu’un arc et non un cercle complet. Ce sont donc la défaite, la déroute et l’inachèvement qui auront été productifs à l’occasion de cet étrange voyage.

Aux confins de l’absurde et du burlesque, le résultat des expérimentations de Tixador et Poincheval n’est jamais la découverte scientifique, mais plutôt l’inauguration de gestes inédits et le défrichage de nouveaux territoires plastiques. Loin des processus conceptuels du land art, s’ils travaillent le plus souvent en extérieur, dans la nature, c’est parce que leurs performances servent de générateur d’œuvres pour l’espace d’exposition. Sous l’influence de l’aventure, on décèle dans la pratique de ces deux artistes la volonté de « faire un pas de côté » pour questionner notre relation à la réalité dans un monde contemporain ultracartographié, balisé, peut-être parfois trop douillet et confortable.

M.G.

C’est pas beau de critiquer ?

« Carte blanche au critique d’art qui nous offre un texte personnel, subjectif, amusé, distancié, poétique… critique sur l’œuvre de son choix dans la collection du MAC/VAL.. C’est pas beau de critiquer ? Une collection de « commentaires » en partenariat avec l’AICA/Association Internationale des Critiques d’Art. »

Laurent TIXADOR & Abraham POINCHEVAL, Journal d’une défaite, 2006

Dans les notes d’intention concernant cette œuvre, on peut lire que ces deux artistes « avaient prévu de faire le tour de France à vélo (en suivant) un cercle parfait ». Un itinéraire allant de Nantes à Nantes, puisque ce projet devait se réaliser dans le cadre d’une résidence de nos deux compères au FRAC Pays de la Loire. Las, au bout de quinze jours de périple, apprend-on, ils abandonnent, car « l’expérience quotidienne du vélo leur est vite apparue aussi déprimante qu’abêtissante ». Gageons, pour qui suit leurs tribulations et leurs expériences depuis qu’ils se sont lancés dans de telles entreprises, que ce n’est pas une surprise en soi, le tour de France on le laisse à des professionnels des deux roues et non à des amateurs dans leur genre … Gageons, pour être un peu plus analytique dans le commentaire de cette « défaite », qu’elle est plutôt conforme à leurs engagements, et qu’à lire le titre tel quel, on a le sentiment amusé d’une redondance parfaitement « réussie » et totalement bien menée à terme. Une « défaite » réussie ? Alors là, on frôle le paradoxe intégral et ça requière quelques explications !!

Voici plusieurs années en effet que Poincheval et Tixador s’obstinent dans le déceptif, dans le loupé, dans une sorte d’insensé. Or, a priori, à lire les bases de leurs projets et de leurs aventures, on pourrait croire à la mise en œuvre - et en route - d’expériences semblables à celles menées par une large cohorte de scientifiques ayant comme point commun de se lancer dans de l’exploration, dans de la découverte et dans de l’inédit, dont les buts avoués sont de faire avancer les connaissances que nous avons du monde. Pourtant, à constater les relevés de leurs notes - et « compteurs » ! - chez eux, ça dysfonctionne toujours, c’est systématiquement voué à vau l’eau, ça donne le sentiment qu’on s’est énormément dépensé pour rien, ou presque, et on peut alors s’interroger sur le pourquoi de telles prestations. Prenons Total Symbiose par exemple : les voilà décidés à aller vivre dans des conditions quasi néolithiques sur l’île du Frioul, alors qu’ils ne savent ni chasser ni pêcher ! Absurde n’est-ce pas ? Ou encore L’Inconnu des grands horizons, projet ayant consisté à aller de Nantes à Metz, avec comme seul indicateur une boussole. Outre qu’ils se sont bien « égarés » dans leurs orientations, ils ont beaucoup souffert de l’odeur des bouses de vache dans les granges où on les a laissés parfois dormir. Ils ont eu froid et sommeil et n’ont pas toujours mangé à leur faim. Epique sans doute, mais pas loin de débile également … Et il en est bien sûr de même pour cette fameuse « Défaite » qui les a vu s’abîmer à Verdun, tiens donc. Parce que bien entendu, la défaite et la déroute, en ce coin de Lorraine, on a beaucoup donné … Ça leur a permis d’ailleurs d’en tirer de belles images - comme on se fait « tirer le portrait » si l’on peut dire - et de nous livrer quelques documents d’une opportunité explicite : un obus estampillé véritable sur lequel ils ont découpé en laiton leur découpe pédalant ; une bouteille du type de celles qu’on jette à la mer mais emplie ici d’un peu de terre prélevée sur la colline mythique, de figurines/portraits qui les voient affalés et harassés sur le bord de la route et de bouts de pneus de bicyclette sales et élimés ; et d’autres bibelots et photographies type « carnets de voyage » que l’on range nostalgiquement dans un tiroir de souvenirs …
Pas très monumental tout ça, au mieux, juste mémorable. C’est très exactement à leur image et à leurs ambitions : faire dans le décalé, dans une sorte d’absurde, dont les finalités ne peuvent qu’interroger la marge étroite entre le lard et le cochon. Que les artistes se coltinent la nature, ce n’est pas forcément très nouveau ; qu’ils parodient ou reproduisent les gestes des explorateurs, c’est assez fréquent aussi ; mais qu’ils s’évertuent à n’en livrer que des résultats ratés et des faillites évidentes, c’est heureusement finement et ironiquement calculé pour que ça ne laisse ni indifférent, ni interloqué. Voici quelques siècles, on aurait pu nommer ça des « vanités », soit ce regard introspectif qui nous renvoie sainement à notre relative condition humaine qui n’est avide, paraît-il, que de sublime … Non, pas tout à fait, et ainsi exposé, c’est convaincant et c’est tant mieux !

Ramon Tio Bellido

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