Huile sur toile, 275 × 345 cm
Notice
Peintre, poète, décorateur de théâtre, Gilles Aillaud est un artiste polyvalent, philosophe et voyageur. A partir des années 1960, renouant avec la peinture classique, il peint des zoos et des paysages. Il évacue le problème de la perte du sujet, qui taraude toute la peinture du XXe siècle, et travaille sur le motif.
Les scènes de zoo prennent une place centrale dans sa production. Mais la présence de ces bêtes sauvages rendues captives ne se résume pas au thème de l’enfermement. Si Gilles Aillaud choisit de peindre des cages, c’est qu’il s’intéresse à ce qui se donne à voir et aux conditions même de ces visions. Le zoo, avec ses différents espaces, est une espèce de théâtre, dont les acteurs ne savent pas qu’ils jouent.
Toujours à hauteur d’yeux et comme prises sur le vif, ses images dévoilent les dispositifs scéniques inventés par l’homme pour évoquer maladroitement la nature. C’est pourquoi les murs et les grilles prennent autant d’importance que les animaux dans ses tableaux.
Piscine vide appartient aux vues de bassins, très fréquentes dans son œuvre. Les animaux amphibies ont la part belle dans son bestiaire. Vues plongeantes ou strictement frontales, l’eau y est l’élément par excellence, qui permet des jeux de reflets changeants.
Ici, le bassin vide est en cours de nettoyage. Gilles Aillaud nous rappelle qu’au théâtre, quant le décor change, les acteurs changent aussi. _ L’hippopotame, échoué, n’est plus qu’une masse informe, reléguée au second plan. Le carrelage blanc, l’escalier et le tuyau d’arrosage sont par contre autant de révélateurs de la présence humaine et de l’action qui se déroule à ce moment précis. Ils représentent la face cachée du spectacle. Aillaud peint le monde tel qu’il lui apparaît. Selon lui, les choses parlent d’elles-mêmes, portent en elles leur propre message. Inutile donc d’en tenter une représentation parfaite, mais plutôt chercher à restituer la manière par laquelle elles se révèlent à nous.
G. B.
C’est pas beau de critiquer ?
Carte blanche au critique d’art qui nous offre un texte personnel, subjectif, amusé, distancié, poétique… critique sur l’œuvre de son choix dans la collection du MAC/VAL. C’est pas beau de critiquer ? Une collection de « commentaires » en partenariat avec l’AICA/Association internationale des Critiques d’Art.
Gilles AILLAUD, Piscine vide, 1974
Nous sommes visiblement dans un zoo situé, comme le suggèrent deux écriteaux, dans une région germanophone. En contrebas de feuillages se déploie une piscine évidée de son eau. À l’écart, enfermé dans un périmètre relativement restreint, son hôte, un hippopotame allongé, est momentanément désolidarisé du bassin que l’on suppose en cours de réfection ou de nettoyage.
Gilles Aillaud a peint d’innombrables scènes de ce genre.
Et, bien qu’il ne se soit pas limité à la représentation
d’animaux en captivité, le zoo semble rapidement s’être
imposé comme le thème majeur et emblématique de sa
production picturale. Car ce ne sont de toute évidence pas
les animaux en tant que tels qui importent ici ou ailleurs
à l’artiste que cet environnement carcéral, ce simulacre
d’habitat réduit à sa plus caricaturale expression. Autant de
cellules qui vont donner lieu à des représentations aux
cadrages souvent « photographiques » et propices à des
découpes mettant à mal l’intégrité géométrique des cages
et autres lieux de privation de liberté. Il en est de même de
leurs occupants. Fragmentés, marginalisés, décentrés voire
annihilés, les animaux en captivité sont, selon Aillaud,
surtout là pour nous rappeler que nous sommes confrontés
à cette thématique si particulière qu’il a fait sienne.
Mais pourquoi avoir jeté son dévolu sur ce genre ?
Avançons deux hypothèses : la première est tributaire d’un
contexte historique. Quand Aillaud entreprend cette série
dans la première moitié des années 1960, l’histoire de l’art
contemporain semble plus que jamais inféodée au mythe
« moderniste ». Caractérisé par l’abstraction américaine,
celui-ci se prolonge dans l’art minimal avant de connaître
à la fin de cette décennie son épilogue via l’art dit conceptuel.
La peinture, qui plus est figurative, s’en trouve en
conséquence ringardisée et l’artiste « enfermé » dans une
esthétique « préventive » lui signifiant que sa marge de
manœuvre est plus que jamais limitée. Aussi n’est-il pas
interdit de décrypter dans ces multiples scènes de captivité
inscrites dans des architectures aux lignes souvent épurées
et minimales (ici le dallage de la piscine vide mais aussi les
barreaux métalliques) une métaphore de l’artiste à l’étroit
dans une conjoncture imposée.
Une deuxième hypothèse touche à la visibilité de l’œuvre
d’art. Le zoo est un lieu qui s’adresse à l’œil. Aussi les
différentes cages, cellules et autres piscines ont-elles été
construites dans l’optique d’offrir leurs hôtes au regard du
visiteur. En les mettant en scène, Aillaud cherche peut-être
à réaffirmer son engagement envers une donnée visuelle
toute aussi fragilisée par certaines stratégies conceptuelles.
La piscine vide se donne dès lors à voir dans toute son
ambiguïté. Elle accentue sa part d’enfermement tout en
soulignant son attachement à la chose vue. Mais aussi
corollairement à la peinture dont Aillaud est l’un des plus
singuliers représentants de sa génération.
Erik Verhagen