Malachi Farrell

2007
Installation mixte : matériaux divers, vidéo, son, dimensions variables.
Production MAC/VAL.
Collection MAC/VAL,
musée d’art contemporain
du Val-de-Marne.
Acquis avec la participation du FRAM Île-de-France
Photo © Jacques Faujour.

Notice

Malachi Farrell met en scène des machines, expressions de son engagement politique contre toute forme de violence physique ou psychologique depuis sa découverte de l’art électronique à la Rijksakademie à Amsterdam, en 1994 et 1995.

Dans La Gégène, « Monsieur Média », un mannequin-robot composé de matériel audiovisuel, accueille le visiteur assis sur une chaise. Sur son torse, un écran de télévision diffuse des témoignages de torturés recueillis sur Internet. Puis un coeur bat, visualisant brutalement l’angoisse de l’attente. Les pieds du personnage et de la chaise se trouvent dans un bac contenant de l’eau et relié à une source électrique posée sur une table : la lampe éclaire le personnage pour le soumettre à « la question » et des éclairs de lumière bleue parcourent son corps. Des marionnettes à l’effigie du Ku Klux Klan et de terroristes kamikazes s’agitent au son de rires enregistrés pour des séries télévisées. Enfin, une caméra vidéo filme l’ensemble de la scène et la retransmet à un autre endroit du musée.

La Gégène évoque une forme de torture pratiquée pendant la guerre d’Algérie et toujours utilisée aujourd’hui. Pour réaliser cette pièce, l’artiste s’est nourri de lectures (La Question d’Henri Alleg, 1958), de films (La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, 1966) et de documentaires (Escadrons de la mort : l’école française de Marie-Monique Robin, 2003) dénonçant la pratique de la torture en Algérie et ses suites. Par cette installation, Malachi Farrell dénonce les machinations politiques et les idéologies xénophobes à l’origine de pratiques barbares.

La médiatisation omniprésente et toute puissante renforce cette violence extrême : elle nous permet d’assister quasiment en direct à des actes terroristes (11 septembre 2001) ou à des exécutions d’anciens chefs d’État (Saddam Hussein), conférant ainsi à la violence de l’actualité un caractère spectaculaire tout en la banalisant.

L’artiste assemble des éléments de haute technologie pour mieux questionner cette violence dans sa finalité, dans son utilisation à des fins de mise en scène. S’il défend la liberté d’expression, il nous pose la question de l’absence de limites et des dérives de la médiatisation. Cette installation fait écho à Nature morte (1996-2000) de la collection du MAC/VAL1, pièce qui rejoue l’exécution des époux Rosenberg pour revenir sur la dimension spectaculaire des exécutions capitales aux États-Unis.

V.L.

C’est pas beau de critiquer ?

Carte blanche au critique d’art qui nous offre un texte personnel, subjectif, amusé, distancié, poétique… critique sur l’oeuvre de son choix dans la collection du MAC/VAL. C’est pas beau de critiquer ? Une collection de « commentaires » en partenariat avec l’AICA/Association internationale des Critiques d’Art.

Installation
Malachi FARRELL, La Gégène, 2007.

Les supporters d’un match de foot écrasés sous les tribunes, l’exécution des Rosenberg, condamnés à mort par la justice américaine en 1953, le travail « au noir » et l’exploitation des étrangers dans des ateliers clandestins au cœur de Paris… Ces événements, ces détresses auxquels renvoie Malachi Farrell dans ses grandes installations invitent à ranger son travail sous la rubrique de l’art engagé. Rares sont les artistes d’aujourd’hui à manifester un tel souci de l’histoire et à se confronter aussi directement à des faits qui inspirent la révolte et le dégoût.

Ces faits, Malachi Farrell, né en 1970, ne les a pas toujours connus personnellement. Ainsi, l’œuvre de la collection du MAC/VAL évoque explicitement la guerre d’Algérie à la fin des années cinquante. Au moment où il crée La Gégène, un demi-siècle sépare donc l’artiste du conflit auquel il se réfère. Comme s’il avait fallu tout ce temps pour revenir poser un regard sur ces années depuis peu tirées de l’oubli, malgré les témoignages recueillis dès 1958 par le journaliste communiste Henri Alleg, dans son livre La Question. C’est de cet ouvrage bouleversant que s’inspire Farrell, rendant à la fois hommage à l’auteur (dont le livre avait été interdit) et à ceux qui, arrêtés comme « suspects », furent torturés à l’électricité, avec la complicité des médecins, par les soldats de l’armée française. Mettre en scène la violence, ce n’est pas s’en faire le fidèle reporter. Aucune forme ne découle « simplement » d’un sujet, fut-il aussi chargé d’émotion, aussi universellement sensible que celui de la torture. Cette forme, qui ne s’inscrit plus obligatoirement dans la perspective bien ordonnée de disciplines distinctes, c’est à l’artiste de l’élaborer en ramassant la matière dispersée en un nouveau langage. S’il n’invente pas les événements sur lesquels il s’appuie, Malachi Farrell fait preuve d’une singulière habileté dans la manière de les représenter. Sa démarche, à l’évidence, n’a rien à voir avec la quête du bel objet. L’œuvre n’a pas à charmer, à séduire le spectateur. Elle doit l’interpeller, le retenir, suspendre sa déambulation nonchalante dans ce lieu protégé qu’est le musée. La Gégène, comme l’ensemble des œuvres de Malachi Farrell, possède clairement un caractère hyperbolique. Se faisant l’écho d’une insupportable violence, elle provoque sur nous un effet de choc.

Le son, le mouvement, les objets, les images, la lumière, les mots : toute une pléiade de moyens, associés comme les instruments d’un orchestre, concourent à dramatiser la scène. Sur la table, la lampe avec laquelle on aveugle la victime et la boîte à manivelle qui envoie la décharge électrique. Au sol, des canettes de bière vides, traces d’une nuit d’interrogatoire bien arrosée. Devant, baignant dans une bassine, la chaise du prisonnier, traversé par un courant d’une intensité telle qu’il risque l’arrêt cardiaque. Et puis, en lisière de ce théâtre des horreurs, le cortège de ceux qui l’approuvent et dont le visage masqué est le signe patent d’une absence d’humanité.

Portée par une ambition éthique, l’installation n’en a pas moins un aspect bricolé qui la rattache à l’univers du jeu, de la parodie et lui évite de glisser vers un discours moralisant. Avançant sur un terrain miné par les bons sentiments, Malachi Farrell sait faire le pas de côté qu’appelle tout projet artistique. Il sait trouver la distance qui lui permet de lier le ridicule au sérieux. Il sait rendre son œuvre unique, contrairement aux manifestations de la violence, aux atteintes à la dignité des êtres qui, elles, sont de tous les endroits et de tous les temps.

Catherine Francblin

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